ELLE. Avez-vous entendu parler de ce film ou l'avez-vous vu ? Qu'en avez-vous pensé ?
J'ai été assez "choquée", non pas par le film, mais par certaines critiques que j'ai pu lire, qui ont été jusqu'à dénigrer la comédienne Isabelle Huppert pour avoir accepté de jouer le rôle.
Alors, hier soir, j'ai regardé le film, et voilà ce que j'ai vu :
C'est donc l'histoire d'une femme qui enfant, à 10 ans, a été découverte avec son père, alors qu'il venait de commettre un crime et que d'autres crimes ont été découverts. Son père était un sérial killer. On comprend cela non pas au début du film, mais un peu plus tard dans celui-ci.
ELLE devient femme, et entrepreneuse dans les jeux vidéos. C'est une femme de pouvoir, mais qui n'est pas odieuse. ELLE sait dire non, ELLE sait dire oui, ELLE n'a pas sa langue dans sa poche, ne se laisse pas faire, ou se laisse faire, selon son bon vouloir.
ELLE subit un premier viol à son domicile. ELLE se défend de toutes ses forces, puis lorsque le violeur s'échappe, ELLE réagit froidement. ELLE se relève, prend un bain, ramasse la vaisselle cassée... consulte un médecin pour une prise de sang... et continue à vivre.
ELLE est prudente, mais dépasse à sa manière la violence qu'elle vient de subir.. Quelques temps plus tard, ELLE subit un second viol, tout aussi violent, toujours à son domicile (Bien qu'elle avait fait changer toutes ses serrures). Même réaction.
ELLE l'annonce un soir à ses amis qui la regarde, ébahis par son sang froid.
ELLE ne veut pas entendre parler de la police, de plainte, etc.... D'autant plus que 'affaire de son père est à nouveau dans le fil de l'actualité (pour une histoire de remise de peine, car il est vieux et malade). ELLE ne veut pas revivre ce qu'elle a vécu enfant. ELLE s'est forgée une manière d'être, de vivre les choses. ELLE n'a pas envie non plus de repasser à la télé. ELLE est déjà régulièrement agressée dans sa vie du fait du stigmate du père assassin.
ELLE ne veut pas se laisser déstabiliser par la peur. ELLE a appris à vivre avec l'agression, et à faire en sorte que celle-ci ne l'atteigne plus, ne l’empêche plus de vivre.
ELLE subit un troisième viol. ELLE ne se laisse toujours pas faire, mais en luttant découvre le visage de son agresseur, qui est un voisin (marié avec une femme très belle, et catholique pratiquante) par qui ELLE était attirée et qu'elle a "dragué" lors d'une soirée (entre voisins). Dans sa lutte, ELLE lui plante un ciseau dans la main et parvient à le faire fuir.
Le film continue, sur la vie quotidienne de cette femme. Cette femme qui vit, et qui n'investit pas le rôle attendu par la société. Victime de faits, sans investissement d'un rôle. Je ne veux pas dire que c'est toujours le cas, que des victimes de faits ne souffrent pas parfois de manière extrême et sur du long terme, mais seulement qu'il y a cette dimension injonctionnelle de rôle souffrant qui devrait nécessairement nous empêcher de continuer à vivre.
Un peu plus tard ELLE est invitée chez ce voisin à venir manger des lasagnes avec son fils. ELLE semble mettre de côté le fait que ce voisin l'ait violée plusieurs fois. ELLE ne cède pas à la terreur, au stigmate, ELLE voit aussi son voisin comme un homme, et un homme qui l'attire, en dehors du violeur. ELLE sait qu'elle prend un risque, mais lui donne une chance. ELLE donne un chance à l'homme. ELLE y va, et alors que son fils s'endort il lui propose de descendre à la cave pour lui montrer son système de chauffage (car elle lui fait remarquer en enlevant ses chaussures et en buvant un cognac dans le salon que le sol est chaud). Il la saisit et va la violer mais ELLE le regarde et lui dit que ce n'est pas nécessaire. ELLE pense qu'il ne la violera pas, mais il lui répond qu'il ne peut pas autrement. (C'est comme si le viol lui permettait d'échapper à la culpabilité de l'adultère, tout en répondant à son désir). Alors elle se laisse battre, et « prendre » violemment. Et ELLE jouit. C'est une sorte de «demi jeu » sado masochiste où se mêlent le désir et le risque pour ELLE, mais aussi pour lui..
Un peu plus tard, la mère de ELLE (je ne sais plus comment elle se prénome... ni même si on le sait dans le film... étrange !) décède, mais lui demande juste avant de mourir d'aller voir son père en prison. ELLE ira. Pour « lui cracher au visage » dit-elle. Mais juste après avoir appris que sa fille venait le voir, son père se pend (du moins, cela est supposé, il est retrouvé mort dans sa cellule, se serait pendu avec un drap).
C'est peut-être un élément déclencheur d'un changement de « perspective » pour ELLE. Mais ce n'est qu'une supposition personnelle.
Un peu plus tard, ELLE a un accident de voiture, et tente de contacter deux personnes mais tombe sur leur répondeur. Alors elle appelle l'agresseur, qui est aussi son voisin, un voisin dont ELLE n'a toujours pas peur (ELLE dit "avoir l'habitude avec les fous" à un moment donné dans le film. Et puis, pour rappel, elle voit son voisin d'abord comme un homme, avec son autre visage, qu'elle apprécie). Il vient la chercher, la dégage de la voiture, et la ramène chez elle. Il la soigne. Il est alors très doux. Comme apaisé.. ELLE lui demande « pourquoi ». « Pourquoi » son comportement. Elle lui demande si c'était bon ? Il ne répond pas.
A la fin du film, ELLE avoue à l'une de ses collègues qu'ELLE avait une liaison avec son mari depuis quelques mois mais que c'est finit (sa collègue et amie lui avait dit se douter qu''il avait une liaison). Elle dit qu'elle a finit de mentir. Qu'ELLE ne veut plus mentir.
Lors de la même soirée, ELLE se fait raccompagner par l'homme qui l'a agressée plusieurs fois. En route, ELLE lui dit que c'est un « jeu malsain" (ELLE discerne), et que c'est terminé. ELLE lui demande s'il se rend compte de ce qu'il lui a fait subir, et lui dit qu'ELLE va tout dire à la police, pour ELLE, mais aussi peut-être pour d'autres. Combien d'autres ? Lui demande-t-ELLE ?
Arrivé chez elle, ELLE entre et refuse toujours de se laisser déstabiliser par la peur. mais il la suit et se jette sur ELLE. Il est toujours masqué. Elle se défend, il la bat ...Son fils (ELLE a un fils d'une vingtaine d'année) arrive et le frappe à la tête. S'en est finit.
Conclusion :
Ce film qui a été décrié par certaines féministes comme honteux, faisant l' « apologie du viol » et/ou promouvant la « culture » du viol, ou encore le banalisant, n'a à mon sens rien à voir avec ce pourquoi il a été accusé. Isabelle Huppert est excellente dans un rôle très dur, qui montre, d'après moi, l'impact de la violence dans l'enfance, mais aussi la transformation que cela peut avoir dans nos manières d'être et nos manières de réagir face à la violence. Transformation qui n'est pas forcément pathologique. ELLE n'est pas "pathologique". ELLE n'entre juste pas dans le moule du rôle de la victime attendue par la société. Ce film montre aussi, je crois, ou l'on peut le voir comme cela, ce que dénouent certaines pertes qui sont liées à nos histoires, et l'impact de ce que je crois être de l'ordre de la répression sur la sexualité,et sur ses normes, qui peuvent la rendre criminelle. Ce film montre la complexité et la pluralité des situations et comportements. Il montre également une femme d'action, qui peut exprimer son désir dans l'action, où la raison a toute sa place au sein de la "cité". Ce qui lui donne la possibilité de vivre plus sereinement sa sexualité.
Du côté des spectateurs/trices, les différentes opinions qu'on a pu lire montrent les attentes divergentes que l'on peut avoir du cinéma, et que ces attentes déclenchent des réactions qui à mon avis parfois s'y arrêtent un peu trop.
Pour ceux et celles qui ont vu le chef d'oeuvre "scènes de la vie conjugale" de Bergman, est-ce qu'un jour on va le trouver scandaleux et pitoyable, en disant qu'il banalise la violence conjugale ?