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27 janvier 2018 6 27 /01 /janvier /2018 12:39

Il serait intéressant de se demander pourquoi, au delà de conclusions hâtives d'une sorte de "symptôme d'invulnérabilité" que l'on attribue aux femmes qui ne veulent pas se dire victimes, pourquoi nous en arrivons là. De la victime que nous serions, nous en sommes arrosées chaque jour un peu matin midi et soir, et quoi que nous disions, dans tous les domaines, si nous ne marchons pas dans le prétendu bon sens, c'est à dire, si nous ne soumettons pas aux hiérarchies qui nous dominent, si nous nous rebiffons alors que nous avons dit avoir été victime de quelque chose, notre parole est délégitimisée du fait même d'avoir été victime de quelque chose. C'est particulièrement le cas lorsque l'on a été victime, de fait, d'agression sexuelle ou/et de viol. Etre une victime est devenu un moyen de nous tenir et de nous faire taire en nous ôtant toute légitimité, et surtout de nous contrôler. Le fusil change d'épaule, mais il est toujours chargé.

Se rebiffer contre quoi ? Contre les récupérations. Les victimes de faits, du moins certaines, en ont assez de passer d'une main à l'autre. C'est ainsi que pour ma part, je me suis dégagée longtemps de l'idée même d'avoir été victime. Ce que certaines d'entre nous veulent, c'est nous constituer en tant que sujets libres, autant que possible, et non pas en tant que "bons sujets", modelées et contrôlées par l'idée qu'une société peut se faire de ce que serait un "bon sujet". Cela ne fait pas que nous n'ayions pas été victimes, mais c'est dire que certaines discours qui s'introduisent dans notre société, qui nous manipulent, se servent de nous, sont devenus insupportables. C'est comme si nous étions passées d'une condition d'esclaves à une condition de colonialisées. 

La tribune des 100 femmes a eu cette force de la non-injonction. Les déclarations plus ou moins foireuses des signataires n'engageaient qu'elles-mêmes. C'était une forme de "manifeste" contre-injonctionel. Il y avait une sorte de revendication mélangée à des dénonciations assez floues, certaines mal venues, d'autres discutables, et une proposition quant à la manière de se défendre de l'oppression que représentent le viol et les agressions sexuelles dans une société dominée par les hommes. On peut reprocher beaucoup de choses à cette tribune mais pas l'injonction. 

Pour revenir à la victime, il y a deux choses à différencier. Etre victime est d'abord un fait, et je ne le conteste pas. J'ajouterai toutefois que c'est un fait qui est relatif à des repères que l'on peut avoir. Ces faits, lorsqu'ils ne sont pas reconnus par la justice malgré une plainte,quand il y a prescription par exemple, ou par absence de moyens, d'investigations, de preuves, de coupable.s, de légitimité, et que par dessus le marché on présente les victimes dans les discours sociaux et psy comme des personnes incapables, en jugeant ce qui relèverait du comportement d'une victime dans l'espace de nos vies privées, sociales, sexuelles, etc... en jugeant que tel ou tel choix est mauvais, bref, quand on essentialise ce que serait une victime à partir de conduites qui seraient immorales ou incompatibles avec notre société, il ne faut pas s'étonner que l'on finisse par choisir une posture de non victime, y compris quand dans des faits nous l'avons été. En fait, jusqu'à présent, le terme de victime concernant les femmes a été davantage détenu par des pouvoirs qui en ont fait ce qu'ils voulaient que par les victimes de faits. 

Ensuite donc, il me semble qu'il y a à différencier la victime de fait.s et le rôle de victime. Ce que la société attend d'une victime... de sa posture... Et c'est du point de vue du rôle qu'il y a des injonctions à démontrer une souffrance qui s'ajoute à ce qu'a à endurer déjà une victime d'agression sexuelle ou/et de viol. Comme si cela nous rendrait une humanité perdue. 

Alors, je suis d'un côté bien "contente" que les choses semblent changer du point de vue de la justice, qu'il semble il y avoir une véritable écoute et volonté politique solidaire des femmes qui disent l'oppression. C'est un moyen de sortir de cette attente sociale, réelle et subjective, d'une démonstration de la souffrance qui s'ajoute à celle qui existe. Si par ailleurs il y a un travail sur l'égalité des droits et des chances qui nous permet ou permettra à nos filles de constituer leur désir, de le mettre en action de façon non subalterne des hommes, un travail d'accessibilité, un travail sur la "déconstruction" des stéréotypes de genre, et sur une meilleure justice sociale, ce serait parfait. Mais d'un autre côté, sachant les dégâts que les mensonges politiques peuvent causer, et ce que peut faire la politique de nos paroles, je ne peux m’empêcher de rester méfiante. 

 

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