Comment trouver un équilibre, donc, entre les discours et les pratiques de soi ?
On peut se trouver totalement en désaccord avec ce que l'on défend. Je ne vois pas comment il est possible de vivre sereinement quand on part du principe premier de ne pas être dominée pour pouvoir agir, quand on est une femme, car la domination masculine est partout. Et elle se croise avec des dominations économiques, qui créent des injustices sociales, qui produisent maintes frustrations qui produisent encore plus de rapports de pouvoir.
Dans la sexualité, c'est pire. Mais c'est aussi par là que peut-être il est possible de commencer à se ressaisir de soi. Parce les rapports de sexe sont partout aussi. Pour ma part, avec mon parcours qui s'ajoute à tout cela, le problème qui se pose aujourd'hui est que je ne vois pas comment vivre une sexualité en tant que femme sans être en contradiction avec le souhait de ne plus être dans des rapports de domination.
D'une part, parce qu'en voulant cela, on peut soi-même vouloir tout maîtriser. Et ça ne peut pas marcher. Partant de cette impression que les hommes veulent de toute façon dominer, impression qui peut progressivement s'imposer à soi, on peut se retrouver à chaque début de relations à vouloir tout maîtriser. D'autre part, parce que structurellement on peut paradoxalement aimer les rapports de domination pour les combattre. Donc, on peut également se retrouver dans des relations qui produisent une forme de mise en marche du désir. Car quand on lutte, on est dans l'action. Mais on est aussi dans le conflit. Même lorsque l'on se soumet dans un premier temps, on se retourne, et la lutte devient un va et vient permanent de recherche de la maîtrise.
Quand on est structurée dès le départ dans un assujettissement total, on cherche, ou on peut chercher une délivrance en entrant dans des relations où l'on est au départ assujettie, parce que cela nourrit notre désir, et notre jouissance. On résiste pour jouir. Il y a ce nœud, ce point de tension qui parce que l'on est tenue, nous permet de résister, et dans cette résistance nous jouissons. Nous nous y autorisons parce que nous résistons. Mais pour résister, il faut être attachée. Attachée symboliquement (combien fantasme d'être attachée pour jouir ?), au moins. Cette symbolique de l'attachement-résistance se transfère dans les affects. On s'attache à quelqu'un qui nous domine, nous assujetti parfois de manière extrême, mais on ne peut pas le quitter, parce que c'est ce qui nous permet de résister et de jouir. De jouir plus fort. Et c'est aussi une manière de chercher à se libérer. De sentir une restitution de soi, et une forme d'expression du désir dans l'action.
Les hommes sont dans l'action, et nous, les femmes, ou certaines femmes, peut-être la plupart, peut-être certaines plus que d'autres, notre désir d'action au même titre que les hommes (ou que les garçons, puisque la construction se fait dans l'enfance) a été condamné, et inhibé. Nous le cherchons au travers de relations avec des hommes d'action. Et les plus forts nous paraissent les plus dominateurs, car nous n'avons pas cette force. Nous la cherchons dans la relation, mais ce désir inhibé ne peut que se glisser dans la relation comme une forme d'impensé qui cherche sa place.
Ce serait donc l'inhibition du désir qui, parfois, nous conduit à nous soumettre, pour vivre indirectement notre désir, et qui fait que nous acceptons l'action .... qui reste. Et qui fait que nous ne sommes pas des sujets à part entière, mais des sujets dépendants, et subalternes.
Mais certaines femmes parviennent à dépasser cette dépendance. Y compris en passant par ce chemin. Et curieusement, il semble que ce ne soit possible qu'au travers de relations où il y a sexualité.
Si les hommes dominent, ce n'est peut-être pas toujours parce qu'ils le veulent, mais parce que leur construction fait souvent d'eux des êtres plus forts que nous, les femmes. Mais c'est aussi cela la domination masculine.