Il est temps de prendre suffisamment d assurance et de refuser la violence professionnelle au même titre que la violence conjugale et la violence sexiste. Dans un cas comme dans les autres, ce n est pas parce que "dans l ensemble", un comportement n est pas violent et qu il a même des moments agréables que les passages violents sont justifiables. Ce n est pas parce que la violence, les pressions, les remarques gratuites, arbitraires sont des faits "passagers", qu il faut les minimiser et les accepter.
Violences conjugales, violences sexistes, violences professionnelles
Associer ces deux domaines : violence conjugale et violence professionnelle n est pas ce qui nous vient á l esprit tant l on dissocie le domaine privé du domaine professionnel. Pourtant, on se rend bien compte que la violence dans le domaine privé n est pas si privée que ça ! Elle est d abord une question d éducation et de longue date. Une éducation á la psychologisation des questions sociales et de pouvoir, une éducation á la minimisation, relativisation de la violence, une éducation á son acceptation.Comment ne pas de ce fait l accepter des années ? Ce qui ensuite nous est reproché et ce qui en ajoute á la minimisation des faits de violences !! Ne rien dire constituerait une preuve de la relativité des faits et parler, alerter, serait un crime plus que les faits de violence !! Eh bien non. Le fait de la non violence en général ne justifie pas la violence de temps en temps, et certainement pas qu on l accepte et la laisse s installer comme des faits minimes sur lesquels il n'y aurait pas lieu de s'arrêter. Il faut sonner l'alerte.
Sonner l'alerte, une expérience
Qu'apprend-on lorsque nous décidons d'alerter d'une situation de harcèlement moral dans le travail ?
On apprend d'abord qu'il y a certaines représentations sur ce qu'est le harcèlement. Par exemple, la semaine dernière, une personne de la commission bientraitance me contacte suite à ce que je peux définir comme ma pré-alerte. Après énumération d'un certain nombre de faits, situationnels, organisationnels, managériaux, et de remarques gratuites, d'accusations gratuites, etc... elle me propose de requalifier les propos en "maltraitance professionnelle", avec comme "argument" que le harcèlement moral "c'est quelqu'un qui est toujours sur votre dos".
On apprend ensuite que le temps, l'étalement des faits, pressions etc n'est pas compris comme ce qui fait qu'au final, il s'agit de harcèlement moral.
On apprend que prononcer le mot est davantage un crime que le fait.
On apprend que si on le prononce, c'est la panique, d'autant plus lorsqu'il concerne un membre du personnel auquel on est subordonné.
On apprend qu'on le sait, et qu'il va falloir se défendre de l'alerte donnée alors même que l'on tente de stopper les attitudes et faits qui ont constitués l'alerte , mais aussi que comme dans les violences conjugales et autres violences, on se verra "psychologisée", parce qu'on est une femme. Car il y a beaucoup moins de "chance" que l'on dise à un homme qu'il "interprète", ni que l'on minimise les faits, bref qu'on le réduise au silence. Tous les faits criminels et délictueux lorsqu’ils sont commis SUR des hommes paraissent plus crédibles et font l'objet d'une inquiétude immédiate lorsqu'ils en parlent, tandis que les mêmes commis SUR des femmes sont l'objet du doute.
Bref, on apprend tous les mécanismes qui nous font taire, ce qui par la suite, lorsque l'on parle, nous est reproché, et constitue par la même occasion un nouveau moyen de minimiser les faits.
Pourtant, si les commissions bientraitance ont vue le jour, c'est parce que dans la plus grande majorité des cas de violence institutionnelle, les personnes n'ont souvent pas conscience de leur violence, parfois, parce qu'elles mêmes sont prises dans des situations et organisations qui les produisent et contre lesquelles elles estiment n'avoir aucun pouvoir. De ce fait elles se taisent et normalisent la violence dans leurs pratiques, et intègrent les mêmes discours qui les autorisent, tout en étant, en tant que personnel plus ou moins subalterne, contrôlées dans leurs pratiques, ou invitées à être bientraitantes.
Enfin, on apprend que dans sa plus grande majorité, nous sommes éduqué.é.s de cette manière, et que la plus grande majorité se rangera dans cet ordre mécanique, du côté d'une oppression qui serait acceptable, car minimisée, et que si l'on alerte on devient coupable, et/ou plus ou moins folle, paranoïaque, caractérielle, hystérique, trop émotive.. Et pour peu que l'on ai déjà vécu des faits de violence dans le domaine privé, on ferait "un transfert". On parvient à nous le faire croire, à nous faire douter de nous-même,à nous faire douter de notre raison, et comparer des faits de violence du domaine privé et du domaine professionnel reviendrait non pas à comparer des faits éducatifs et des mécanismes mais à associer privé et professionnel, posé comme "transfert". Pour peu que l 'on ajoute à cela, dans nos propos, une dimension féministe, cela deviendrait en plus une interprétation idéologique, un règlement de compte avec les hommes.
La force de la libération de la parole
Mais si demain toutes les violences morales subies dans le travail sont énoncées par toutes celles qui les vivent, si il y a comme pour ce qui concerne le sexisme, le harcèlement sexuel, les atteintes au corps dans les rues et les transports, une déferlante d'énonciation de faits, qu'ils soient verbaux ou écrits, peut-être que l'on va nous entendre ? En tout cas il ne sera plus possible de nier que la violence morale est un fait et même un fléau. Alors peut-être qu'il deviendra avec cette prise de conscience moins normal de le commettre ou d'y participer, ni de participer à son étouffement. Et peut-être que cette prise de conscience même sera préventive.